Les bactéries
Escherichia coli entérohémorragiques (EHEC) sont connues pour être à
l’origine de la "maladie du hamburger" (liée à la consommation de
steaks hachés non cuits à cœur) mais, dans l’épidémie actuelle, les premiers
soupçons se sont portés vers des concombres bio issus de cultures sous serres
en Andalousie, au sud de l'Espagne. Les analyses sont toujours en cours et
une contamination le long de la chaîne de distribution n'est pas exclue.
Christine Martin, les bactéries EHEC
sont une des thématiques centrales des recherches menées au sein de votre
unité. De telles bactéries qui infectent des légumes crus, est-ce courant ?
Les EHEC sont
des bactéries de la microflore digestive animale, en particulier des
ruminants qui sont des porteurs sains. Elles ne sont pas naturellement
présentes sur les fruits et légumes, il est donc rare qu’elles s’y trouvent.
Cela ne peut se produire qu’à la suite d’une contamination, soit lors de la
culture, par des eaux d’irrigation ou du fumier eux-mêmes contaminés, soit
plus tard dans la chaîne alimentaire, à la suite de manquements aux règles
d’hygiène de base.
Mais
l’événement actuel est également atypique à d’autres titres :
·
la taille de l’épidémie est inédite en Europe. Dans
le monde, seuls quelques précédents sont connus en matière de légumes crus.
En particulier : une épidémie qui a touché environ 9 000 enfants au Japon en
1996 à la suite de la consommation de pousses de radis crues, causant 11
décès, et une autre liée à la consommation d’épinards frais aux États-Unis en
2006 touchant 200 personnes avec trois décès. Seules deux épidémies de faible
ampleur ont eu lieu en France en 2005-2006, l’une à partir de camemberts au
lait cru, l’autre de steaks hachés surgelés avec lors de chacune, quelques dizaines
de cas dont 17 graves mais sans décès ;
·
le sérotype en cause : 0104:H4, auquel n’avait
jamais été attribué une telle épidémie. Les EHEC sont identifiés par des
tests sérologiques qui permettent de nommer les différents sérotypes
bactériens rencontrés. Or, O104:H4 ne figurait pas dans la liste des cinq
sérotypes majeurs (O157:H7, O26:H11, O145:H28, O103:H2 et O111:H8)
répertoriés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour la
gravité des symptômes qu’ils peuvent induire ;
·
la virulence de l’épidémie est inhabituelle, avec un
quart des contaminations évoluant vers des formes graves contre un sur dix
habituellement ;
·
les personnes atteintes sont majoritairement des
adultes, alors que les enfants et personnes âgées sont ordinairement plus sensibles.
Comment ces bactéries peuvent-elles nous rendre malades ?
Les E.
coli sont naturellement présentes dans la flore digestive humaine et
animale. Certaines souches sont toxiques pour l’homme, comme les EHEC qui
produisent des Shiga toxines, mais ces mêmes souches ne sont pas nocives pour
les ruminants, en particulier les bovins, qui peuvent donc être des porteurs
sains. Comme les animaux contaminés excrétent les EHEC dans leur
environnement, les bactéries peuvent ensuite se retrouver sur leur peau et leur
carcasse. L’arrachage du cuir et l’éviscération à l’abattoir représentent
ainsi le mode le plus fréquent de contamination des viandes (pour les
produits au lait cru, le plus souvent via les mamelles).

Chez l’Homme, les sérotypes pathogènes causent une colite hémorragique qui se
résorbe en général rapidement, et dans environ 10 % des cas, évolue en
troubles rénaux avec des symptômes hémolytiques et urémiques qui peuvent
entraîner de lourdes séquelles, telle qu’une insuffisance rénale pouvant
justifier des dialyses rénales à vie, et parfois la mort. La gravité dépend à
la fois du sérotype bactérien et de la sensibilité de l’hôte : certains
adultes peuvent héberger une souche pathogène sans manifester de symptômes.
Les enfants et les personnes âgées sont en général plus sensibles, mais, dans
l’épidémie présente, ce n’est pas le cas.
Une souche de E. coli peut devenir virulente à la suite d’une modification de
son patrimoine génétique ou de la régulation de son expression. Cette
modification peut être une mutation, mais c’est rare. Le plus souvent, les
facteurs de virulence sont acquis par transfert horizontal d’éléments mobiles
(acquisition de gènes de virulence provenant d’une autre souche), ou par un
changement dans la régulation de l’expression de certains gènes. Le sérotype
d’EHEC O104 :H4 a très rarement été associé à une pathologie, c’est pourquoi
des études de génomique sont actuellement conduites en Allemagne pour
caractériser ce qui détermine la virulence de la souche O104 :H4 causant
l’épidémie actuelle.
Les recherches que vous menez
peuvent-elles nous éclairer sur les moyens de juguler de telles épidémies ?
Les
recherches de l’unité Microbiologie s’articulent autour de deux axes :
limiter le portage sain par les ruminants (ovins et surtout bovins) et mieux
comprendre la pathologie chez l’Homme pour mettre au point des voies
préventives ou thérapeutiques.
En effet, les
antibiotiques ne sont pas une bonne réponse au problème car, sous l’influence
de la plupart d’entre eux, la bactérie augmente sa production de toxines et
ainsi sa virulence.
La prévention passe par les bonnes pratiques d’élevage et d’hygiène dans la
chaîne alimentaire. À noter que la présence d’E. coli n’est
actuellement pas contrôlée sur les fruits et légumes crus dans la chaîne
alimentaire dans la mesure où elle n’était pas connue pour être à l’origine
de graves épidémies.
La cuisson élimine les EHEC dès 5-10 minutes à 60-61 °C. Chez soi, il importe
de bien séparer le cru du cuit pour ne pas contaminer les aliments après
cuisson.
Se laver les mains avant et après avoir manipulé les aliments, peler et laver
les fruits et légumes crus, bien nettoyer les plans de travail après
utilisation sont aussi des précautions qui contribuent à éliminer les sources
de contamination.
Source: www.inra.fr
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